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Lettre d’une jeune fille à sa mère…

journal intimeVoici un texte que je pense fictif, qui est néanmoins magnifique… Encore un texte de Jacques Salomé*.

« J’ai peur de te parler, maman, parce que je sais que je déclenche des tas de peurs en toi chaque fois que je tente de te dire ce qui m’habite. Quand je te parle de mon amoureux, de mes copines qui font l’amour ou qui rêvent de voyage, de partir à l’étranger, ou encore de faire du théâtre; quand je te confie que mon copain a des désirs et que moi je retiens les miens, je déclenche chaque fois des comportements excessifs et même des crises de folie de ta part. Tu parles, tu parles, tu me noies de mots, de conseils, comme pour évacuer tout le malaise que cela a réveillé en toi. Tu veux tout de suite me prendre en charge, m’expliquer, me rassurer. Tu anticipes le pire et tu me proposes aussitôt des solutions. Tu voudrais que je fasse aussitôt quelque chose pour calmer tes angoisses…

A la moindre sortie un peu tardive, tu évoques enlèvement, viol, prostitution, drogue, sida. Tu surveilles mon linge intime, vérifie mon cycle et je sais que tu lis aussi mon journal, enfin, mon faux-vrai journal. Celui que je laisse en évidence au fond du tiroir où je sais que tu vas le trouver, dans lequel j’écris des banalités ou le ronron du quotidien , pour te rassurer, t’apaiser, t’endormir.

Maman, je ne veux plus te mentir ni faire semblant. C’est vrai, je ne suis pas cette fille idéale sans aucun problème, gentille, soumise et peureuse dont tu rêvais. Je ne sais pas ce que je réactive chez toi, mais je ne veux plus collaborer à cette espèce d’escroquerie que je ressens venant de ta part, dans laquelle je me laisse entraîner malgré moi. Une espèce de contrat implicite d’après lequel je devrais me sentir aimée et respectée tant que je me moule à tes désirs, d’après lequel je devrais exister a minima pour ne pas réveiller tes peurs ou ta culpabilité de ne pas être une bonne mère. liberté

Maman, je ne veux pas payer le prix de ton refus ou celui de tes peurs… Aussi tu l’as peut être perçu, actuellement je me tais, je ne partage plus rien avec toi, je m’absente d’une relation vraie. Depuis quelques temps tu redoubles de questions, tu m’agresses encore plus. Et tu ne sais même pas que, ce faisant, je te protège, que je fais tout ça pour toi, pour ne pas augmenter ton angoisse ou ton désarroi.

Maman, lâche moi les baskets, ose me faire confiance en te faisant confiance, c’est urgent.

Ta fille, hélas unique, qui t’aime »

* Un autre très beau texte de J. Salomé, et quelques lignes sur l’auteur ici: https://ooosophiemaraisooo.wordpress.com/2016/05/16/ecoute-juste-ecoute-en-silence/