Pour rappel : je travaille en IME – pôle adolescence (14 – 20 ans avec la loi Creton) – troubles cognitifs, troubles du comportement, troubles envahissants du développement… Troubles légers à moyens. L’ARS ne veut plus que l’on utilise le terme IMPro, mais la spécificité de cet IME est la présence d’ateliers professionnels dès 14 ans.
En ce jeudi 28 avril hivernal, les enseignantes sont en formation. Mon collègue et moi accueillons donc les « grands » (+ 16 ans) pendant que le reste du groupe est en atelier professionnels. Ce sont quatre jeunes de l’atelier « peinture en bâtiment » qui restent dans ma salle lorsque je propose une activité « arts plastiques ». Les autres partent avec mon collègue.
Je leur explique qu’il s’agit d’une production collective que j’aimerais afficher dans ma toute-nouvelle-salle-repeinte-et-réaménagée, s’ils estiment que le résultat leur convient. Les quatre jeunes montrent de l’enthousiasme. Je cherche dans ma boîte à idées (qui là, se situe dans ma boîte crânienne), et je leur propose l’adaptation d’une activité que j’avais trouvée sur internet. Et décrite ici : arts plastiques en mode coopération (c’est la 3e illustration de l’article, pour aller plus vite)
Nous traçons une grande Terre allongée-ovale. Bleue. C’est leur choix. Sur une très grande feuille posée sur la table. J’ai l’idée de leur proposer de s’inspirer d’une citation. Trois des quatre jeunes font aussi partie de l’atelier écriture, et sont férus de citations. J’ouvre mon petit livre et en lit plusieurs. Nous choisissons ensemble une citation principale. Un proverbe aborigène.
C’est la Terre qui nous nourrit, respectons-là.
Ils trouvent que celle-ci va bien avec la thématique… Nous l’écrirons au centre. Puis certains choisissent une citation-jolie :
Le soleil que tu envoies revient vers toi. (proverbe hindou)
Pour avoir confiance et espoir dans le futur, il faut d’abord avoir fait face au passé. (proverbe maori)
E.C. décide d’en inventer une avec les petites lettres-tampon :
La création commence. Ils utilisent des livres, des modèles. Nous tournons de temps en temps d’une place à une autre, en reprenant, en étayant le dessin/collage précédent. Je dis Nous car je ne peux m’empêcher de participer…
De nombreux échanges ont eu lieu pendant cette création. Jamais initiés par mes soins. Et j’en ai retenu deux que j’ai trouvés extraordinaires…
°° Le mariage gay (et oui!). Il faut savoir que l’un d’entre eux est concerné par le sujet, mais ce n’est pas lui qui a lancé la conversation. C’est E.H., une jeune dessinatrice aux talents impressionnants ayant remporté un prix à Angoulême l’année précédente… qui dessine une demande en mariage entre deux hommes. Viennent donc les échanges autour de l’Amour. Que l’amour n’a pas de sexe. Qu’il est universel. Que deux hommes ou deux femmes ont le droit d’être unis par le mariage s’ils s’aiment… Tous sont d’accord.
°° Des difficultés et des souffrances… C’est E.C. qui lance le sujet : « Avez-vous déjà souffert, vous, dans votre vie ? ». Et là, les échanges deviennent passionnels. Tout en restant dans le calme. Tout en dessinant des fleurs, des cœurs, des papillons, des monstres-gentils, en collant des morceaux de calligraphie, de mandalas, écrivant le nom de l’amoureux, ou la citation-jolie personnelle. Les souffrances racontées ici par ces jeunes, sont celles qui ont été vécues à l’école-d’avant. L’école « ordinaire ». L’une c’est le rejet de l’enseignante qui lui faisait faire du « travail de bébé » au fond de la classe à l’écart. Pour l’autre, atteinte de nanisme, ce sont les moqueries des camarades. E.C. qui avait initié la thématique, parle de sa phobie scolaire. Moi je reste dans l’écoute. Sans aucune intervention. Je laisse le flot de la vie circuler entre eux, et je trouve ça beau. Je les trouve beaux derrière leurs pinceaux et leurs collages de mandalas, à parler de leurs souffrances passées d’un air apaisé. A s’écouter aussi, s’écouter, se questionner. Et surtout, à éprouver de l’empathie les uns pour les autres.
J’aime ces échanges, leurs liens avec la thématique « Terre », et avec les citations-jolies choisies… Et avec leurs dessins.
Bref, pour moi cet après-midi est lumineux.
A la fin, tous veulent signer. Nous choisissons un endroit pour accrocher sur le mur cette belle réalisation, qui n’est pas uniquement faite de collages et de couleurs… Finalement.
Très intéressante on article Sophie!
Ces jeunes, tu les accompagnes vers leur réalisation d’eux-mêmes… ils accueillent leurs souffrances passées avec distance et vivent dans l’instant présent…ils nous donnent des leçons de vie par notre écoute qui se montre sincère et apaisante… j’ai beaucoup apprécié te lire…
vive l’harmonie bises
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Merci Anne-Laure! Moi j’ai aimé vivre cette journée, et la raconter… Bises!
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